Peinture d’icônes – l’émulsion de jaune d’oeuf

Émulsion maigre et émulsion grasse1

La peinture utilisée pour les icônes est la détrempe à l’œuf, appelée aussi tempera de jaune d’œuf. Il existe des flottements autour de l’usage de ces termes. Sendler dit qu’en Italie, on appelait tempera toute substance liant des pigments entre eux et il emploie pour sa part l’expression ‘détrempe à l’œuf’ pour la peinture d’icônes.2 De son côté, un article de Wikipedia réserve ‘tempera’ aux liants à émulsion3, tandis que Dotapea en parle comme toute peinture dont le liant est à base d’eau – par exemple : colle, caséine, gomme, etc.4 Le terme ‘tempera’ vient de temperare, tremper ou dé-tremper5, d’où la quasi-synonymie des deux appellations.6 Le type de tempera ou de détrempe est précisé par le liant utilisé, par exemple : tempéra de jaune d’œuf, détrempe à l’œuf, etc. Le principe de la peinture à l’œuf est le même que celui de toute peinture, à savoir des pigments, habituellement en poudre, liés entre eux par un liant quelconque. Dans la peinture d’icônes, ce liant est le jaune d’œuf auquel on additionne soit du vin blanc, soit de l’eau additionnée de vinaigre pour en prolonger la conservation.

L’huile grasse du jaune d’œuf et l’eau maigre sont deux corps non miscibles (qui ne se mélangent pas) entre eux, mais qui peuvent néanmoins être réunis pour constituer ce qu’on appelle une émulsion stable, c’est-à-dire un mélange dont les composants ne se repoussent pas et ne s’agglutinent pas dans des conditions normales. En fait, le jaune d’œuf est lui-même une émulsion et dans le mélange œuf + vin (ou vinaigre et eau) dont nous venons de parler, il joue lui-même un rôle d’émulsifiant en empêchant l’huile de l’œuf et le vinaigre de se séparer. C’est ce même principe que l’on retrouve en cuisine quand on compare une vinaigrette ordinaire, émulsion instable dans laquelle l’huile se sépare rapidement du vinaigre, avec la mayonnaise, une émulsion stable qui a les mêmes composants de base que la vinaigrette, mais dont la lécithine de l’œuf assure la cohésion et la stabilité.7

Il y a deux types d’émulsion, soit maigre ou grasse. Dans une émulsion maigre, comme la détrempe à l’œuf que nous utilisons pour peindre les icônes, c’est la molécule de gras qui flotte en suspension, entourée par un liquide maigre, par exemple l’eau, qui la sépare des autres molécules de gras. Dans une émulsion grasse, comme la peinture à l’huile, c’est le contraire. Dans l’émulsion maigre, c’est l’évaporation de l’eau, le séchage, qui va permettre aux molécules de gras de se rapprocher pour constituer un film solide, la couche picturale.8 Notez qu’il est possible de rendre une émulsion à base d’œuf, maigre par définition, plus grasse en lui ajoutant simplement de l’huile, de lin ou autre. Certain(e)s iconographes utilisent cette technique car elle donne une peinture plus onctueuse et qui a l’avantage de sécher moins vite.

Les images suivantes, tirées du livre de Garcia Le métier du peintre et du site de Dotapea, illustrent ce qui vient d’être expliqué.9 En haut à gauche, nous avons les trois stades de la vie d’une émulsion maigre, soit 1) l’émulsion fraîche, avec ses molécules de gras en suspension dans un environnement aqueux, puis 2) le rapprochement des molécules de gras au fur et à mesure que l’eau s’évapore jusqu’au 3) séchage complet. De leur côté, les deux dessins du bas illustrent une émulsion grasse, à gauche, et une émulsion maigre, à droite.

Notes


  1. Les données de base de cette capsule technique proviennent des notes du cours SPR 3861 –
    Théologie et spiritualité de l’icône que j’ai donné de 2004 à 2008 dans le cadre d’un partenariat entre le Centre Emmaüs de spiritualité hésychaste (alors ‘des Églises d’Orient’) et l’Institut de Pastorale des Dominicains de Montréal. L’extrait présenté ici correspond à la structure suivante : Section 2 – L’icône, technique et symbolisme / Partie 3 – Étapes de l’écriture de l’icône / Point 3.6 – Cinquième étape : la peinture / Élément C – La technique de peinture: la détrempe à l’œuf ou tempera. Des renseignements et références complémentaires, qui ne se trouvaient pas dans les notes originales (2008) sont ajoutées au besoin. ↩︎
  2. Sendler, É. (1981). L’icône, image de l’invisible : éléments de théologie, esthétique et technique Paris : DDB, p. 192. ↩︎
  3. Tempera. Dans Wikipedia. URL : http://fr.wikipedia.org/wiki/Tempera {Dern. consult. 2012-03-06}. ↩︎
  4. Tempera. Dans Dotapea. URL : http://www.dotapea.com/tempera.htm {Dern. consult. 2012-03-06}. ↩︎
  5. Tempera. DansWikipedia, loc. cit. ↩︎
  6. Tempera. Dans Dotapea, loc. cit. Voir aussi Technique et pratique de la peinture : trucs de peinture, blogue. URL :http://forum.aceboard.net/4122-975-11677-0-.htm {Dern. consult. 2012-03-06}. ↩︎
  7. On parle alors de stabilité cinétique, c’est-à-dire relative au mouvement, laquelle stabilité est le plus souvent affectée si les conditions thermodynamiques changent (ex. la cuisson). Cf. Émulsion. Dans Wikipedia. URL : http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89mulsion {Dern. Consult. 2012-03-06}. ↩︎
  8. Garcia, P. (199). Le métier du peintre. Paris: Dessain et Tolra, pp. 253-254. Voir aussi les articles suivants : Les liants émulsions, Émulsion, Tempera et Œuf Dans Dotapea, respectivement aux URLs : http://www.dotapea.com/liantsemulsions.htm ; http://www.dotapea.com/emulsion.htm, http://www.dotapea.com/tempera.htm et: http://www.dotapea.com/oeuf.htm {Dern. consult. 2012-03-06}. Voir aussi Émulsion. Dans Wikipedia, loc. cit. ↩︎
  9. Images en haut à gauche : Garcia. P. op. cit., p. 253-254 ; en bas : Les liants émulsions. Dans Dotapea, loc. cit. ↩︎

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