L’icône, image sacrée

Ce texte a été écrit par l’iconographe Nylda Aktouf en novembre 2013 en accompagnement d’une exposition collective d’icônes à laquelle elle participait. Il nous fait plaisir de le publier aujourd’hui, 21 février 2014, dans le Carnet web de Périchorèse. Nylda fréquent l’Atelier d’iconographie Périchorèse-In-Chora depuis 2010.

Les plus anciennes icônes remontent aux Ve et VIe siècles. Découvertes au monastère Sainte- Catherine, sur le mont Sinaï, elles étaient peintes à la cire et s’apparentaient aux portraits funéraires du Fayoum, tant par la manière que par le type et l’expression intense du regard des personnages.

L’icône n’est pas seulement une image peinte sur une planche en bois, mais le support de communication avec le divin. Elle reçoit l’énergie de celui ou celle qu’elle représente et devient ainsi un objet sacré. Elle est une représentation qui, selon saint Jean Damascène,
« renferme un mystère et, comme un sacrement, est porteuse d’énergie divine et de grâces ».

Les icônes se sont répandues dans la Russie de Kiev, suite à sa conversion à la religion orthodoxe en 988. En règle générale, ces icônes suivent de près les modèles et formules de l’art byzantin, développés depuis sa capitale de Constantinople. C’est de cette ville et de Grèce que sont venus les premiers peintres d’icônes.

Les malheurs de l’icône

Entre 730 et 843 après J.C., l’art byzantin est secoué par une crise iconoclaste profonde. Cette période est particulièrement violente et marquée par la persécution et le massacre des défenseurs des icônes, ainsi que par la destruction de celles-ci. Cet épisode prend fin avec le deuxième concile de Nicée, réuni par l’impératrice Irène, en 787 et qui rétablit les images sacrées. Mais la crise reprend en 813 et ce, jusqu’en 843, date à laquelle l’impératrice Théodora met fin à la querelle.

D’après la conception de l’Ancien testament, la représentation de Dieu est impossible, puisque toute image ne pourrait être qu’une idole païenne. Mais, selon saint Jean Damascène:
« Il fut un temps où Dieu, n’ayant ni corps ni forme, ne pouvait être représenté d’aucune façon. Mais puisque, aujourd’hui, Dieu s’est incarné et a vécu parmi les hommes, je peux représenter ce qui est visible en Dieu. Je ne vénère pas la matière, mais je vénère le créateur de la matière (…). »

L’icône est une prière

L’icône n’est pas seulement une œuvre d’art, elle a une valeur spirituelle et liturgique. L’icône invite au silence et au recueillement. C’est la rencontre de la lumière divine avec la création.

Une icône s’écrit dans le calme absolu, par travail de méditation et d’ascèse. Le symbolisme est prépondérant et l’iconographe doit être humble, il ne peut signer son icône. Il est le lien entre le monde divin et le monde terrestre.

Regarder une icône, c’est accepter de se questionner sur les liens entre notre vie réelle et notre vie spirituelle. Il ne s’agit donc pas d’un simple objet historique qui ne concernerait que les croyants de la religion orthodoxe, mais d’un objet qui fait rêver et réfléchir. Le regard « intériorisé » de l’icône est centré sur celui ou celle qui regarde pour l’inciter à entrer « dedans ».

Des règles d’écriture canoniques

L’écriture des icônes obéit depuis des siècles à des canons traditionnels destinés à en garantir l’authenticité. Dans la contemplation de Dieu, les passions sont absentes : ni grande joie exubérante, ni peine, ni colère, ni découragement ne sont présents. Le regard a une expression neutre afin de permettre le passage vers le monde divin et inversement. La taille des personnages, les couleurs, les mains, les pieds, les cheveux, etc. sont codifiés et ne doivent pas laisser place à l’esthétisme personnel ni à l’inspiration individuelle. Par exemple, dans la Vierge de Tendresse, les deux regards de la mère et de l’enfant ne sont pas fusionnels, ce n’est pas l’exemple d’une diade mère-fils. La Vierge Hodigitria (qui montre le chemin), est une Vierge au trône, soutenant l’Enfant sur le bras gauche, la main droite ramenée devant le buste : La Vierge nous regarde, nous présente le sauveur, nous le donne sans captation maternelle; Chez les Saints et Saintes, l’absence de sentiments est aussi le symbole du calme et de la sérénité du monde spirituel. La Vierge orante (« qui prie ») lève les mains vers le ciel pour accueillir la grâce. Une icône célèbre, celle de la Trinité, qu’on nomme aussi Hospitalité d’Abraham, est souvent considérée comme le point culminant de l’iconographie russe et le modèle par excellence, grâce au talent et à la spiritualité de son auteur, l’iconographe russe Andreï Roublev.

L’icône est dessinée en deux dimensions et ne suit pas les règles de la perspective classique, mais ce qu’on appelle la «perspective inversée» où le point de fuite se trouve, non pas derrière le spectateur, mais vers le spectateur ou en lui, pour montrer que Dieu vient vers l’homme. La perspective inversée permet au spectateur d’être inclus dans la composition. Elle indique aussi que le monde spirituel n’obéit pas aux mêmes règles que le monde physique. C’est un monde autre.

Au-delà ces règles, l’icône n’est ni monotone, ni stéréotypée. La fidélité à la tradition n’est pas répétition ou copie, mais révélation toujours renouvelée d’une même vérité.

Des ténèbres à la lumière : les couleurs

Les matières utilisées sont aussi naturelles que possible, et relèvent des trois règnes : végétal pour le support (bois, brou de noix, huile de lin), minéral pour les pigments purs et broyés, et animal par le liant : l’œuf, la colle de peau de lapin, le fiel de bœuf, la cire d’abeille.

Les icônes sont peintes à la tempera (pigment naturel et jaune d’œuf) sur des planches de tilleul sèches de plus de deux ans et peintes sur le cœur de l’arbre. Sur le bois, un support est nécessaire : le levkas (blanc de Meudon et colle de peau de lapin), un tissu est marouflé et une douzaine de couches successives de levkas sont appliquées.

L’iconographe y décalque puis grave le dessin qui a été rigoureusement composé. Le fond de l’icône est habituellement en or. C’est une couleur «solaire ». Elle représente la lumière divine qui éclaire l’icône et rayonne même dans l’obscurité.

Les couleurs, par leurs vibrations, leur énergie et leur symbolique ont un rôle important. Chaque couleur a un sens spirituel, et on ne peut les poser dans n’importe quel ordre. Il faut commencer par les couleurs les plus sombres pour aller vers les tons les plus clairs, et finir par la transparence des glacis. L’iconographe procède par éclaircissements progressifs en terminant par les visages et par les « dernières lumières », éclats de la lumière divine.

Il inscrit le nom de l’icône pour lui donner son identité et enfin, après un bain dans une huile de lin mélangée à un siccatif appelée olifa, l’icône est bénie par le prêtre au cours d’une célébration liturgique.

L’icône à travers le monde

Si l’art des icônes est un art typiquement orthodoxe, il connaît un essor particulier au Levant à la fin du XVIe siècle et témoigne de cultures très diversifiées. Il renseigne sur l’évolution des peuples orthodoxes chez les Chrétiens d’Orient, Éthiopiens, Coptes, Nestoriens, ou Arméniens, et bien d’autres. Les icônes orthodoxes deviennent ainsi des cartes identitaires d’une valeur inestimable à travers les temps et les lieux.

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