L’icône, à la croisée de deux sensibilités spirituelles : L’exemple de l’icône de la sainte famille

Ce texte a été publié dans Le Précurseur (MIC), vol.49(2), avril-mai-juin 2006, p.19.

N.B. La version présentée ici a légèrement été modifiée (sous-titre ajouté et suppression des renvois à des sites internet) lors de la publication du texte sur le site de l’Institut Périchorèse, le 29 juillet 2014. Les corrections dans le corps du texte sont mises entre crochets.

Dans la foulée [des interventions] du pape Jean Paul II, certains milieux catholiques manifestent une attirance certaine envers l’icône de tradition orthodoxe tandis que d’autres s’en approchent difficilement, la jugeant austère et trop étrange pour vraiment toucher nos sensibilités spirituelles et d’atteindre sa finalité qui est d’inviter à la rencontre avec Dieu dans la prière.

Le mot icône vient du grec ikon, image. Il s’agit d’une représentation du Christ, de la Théotokos (Mère de Dieu), des anges, des saints et des saintes réalisées suivant la technique et le style traditionnels de l’Orient chrétien. C’est le septième concile œcuménique, tenu à Nicée II en 787, qui en a posé les fondements théologiques et déterminé les règles de réalisation. Le but de l’icône est de témoigner de « l’Incarnation, réelle et non fictive, du Verbe de Dieu ». Elle manifeste un monde transfiguré, déjà réalisé bien que non encore pleinement manifesté (1 Jn 3, 1-3) et elle inséparable des Écritures. Elle est le fruit d’une tradition et non d’une intuition, aussi valable soit celle-ci sur le plan spirituel, car son but est d’exprimer d’abord un contenu de foi.

Un des reproches que font les orthodoxes aux catholiques qui écrivent des icônes se trouve du côté de la compréhension de sa densité doctrinale. Un bon exemple de cette différence de sensibilité spirituelle face à l’icône est la représentation de la Sainte Famille.

Le prototype de cette icône fut créé par une bénédictine du Mont des Oliviers, sœur Marie-Paul [Faran] [première image, ci- contre]. Il fut sévèrement critiqué par [certains Orthodoxes] et, ce, pour deux raisons principales. D’une part, Marie y est représentée plus petite que saint Joseph alors que l’icône doit sans ambiguïté la montrer comme Théotokos, Mère de Dieu, titre qui signifie que sa dignité est sans égal dans le monde créé. De son côté, le geste affectueux de Joseph à l’endroit de Marie, de même que la position de leur corps, pourrait laisser entendre une proximité charnelle, alors que la doctrine mariale proclame la virginité perpétuelle de Marie. Ce qui est décriée, ce n’est évidemment pas la tendresse des époux car il est certain qu’ils étaient liés par une profonde affection et qu’ils se la manifestaient à leur façon. Il s’agit plutôt d’une invitation à la prudence en ces temps où les dogmes mariaux sont mis à rude épreuve.

La seconde illustration montre une icône écrite par une iconographe catholique québécoise, Denise Gravel, icône qui fut reçu positivement par l’Orthodoxie. Marie est de même grandeur que Joseph (elle pourrait aussi être un peu plus grande), leur corps ne se touchent pas et les époux sont clairement tourné vers l’Emmanuel qu’ils nous montrent comme le Chemin vers Dieu (Jn 14, 6). La tendresse imprègne les traits des visages, les gestes et attitudes corporelles, mais elle est signifiée avec la discrétion qui sied à cet art, monastique dès l’origine.

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Se déplacer sur le terrain de l’autre dans le respect profond et sincère de sa différence tout en conservant notre attachement à notre propre tradition est un immense défi pour la foi. C’est surtout une joyeuse invitation à célébrer la diversité des trésors de l’Église indivise. Saint Théodore Studite, le dernier grand défenseur de l’icône à la période patristique (759-826), employait le terme skésis pour signifier le mode de présence du Christ dans son icône, mot qui connote un aspect d’affection, d’attachement d’amour au prototype de l’icône. Les dérivés du terme renvoient aussi aux moyens qui sont données pour calmer, contenir, apaiser. C’est là un bon guide, me semble-t-il, pour notre appropriation occidentale de l’icône traditionnelle.

Michèle Lévesque Théologienne et iconographe Institut Périchorèse

Création du texte pour Le Précurseur (Mic): 23 mai 2006

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