(technique de dorure à la détrempe dite aussi ‘sur coussin d’eau à dorer’)
Comparaison de deux méthodes
1. Mise en situation et questionnement
La dorure à la feuille d’or dite ‘à la détrempe’ ou ‘sur coussin d’eau à dorer’ est une technique laborieuse avec laquelle il semble presque impossible d’éviter la formation de petits trous. Même avec l’emploi d’un or de bonne qualité, tel celui utilisé à notre Atelier (22 carats de triple épaisseur, soit 21 grammes par 1000 feuilles), les petits trous apparaissent inévitablement dès que nous ‘passons la ouate’ une fois la première couche d’or posée et séchée. C’est pourquoi cette première couche est suivie d’une deuxième étape, le repiquage.
La première couche est le plus souvent posée avec des demi-feuilles de 80 x 40 mm (une feuille mesurant 80 mm carrés). On dépose la feuille sur une flaque d’alcool de forte concentration, souvent de la vodka, avec un large pinceau appelé palette du doreur. Préalablement, la surface à dorer a été préparée avec un mélange de terre bolaire (bolus) et de colle. Le repiquage consiste à coller des morceaux d’or relativement petits sur les trous laissés après la pose de la première couche.
Le repiquage est une étape longue et fastidieuse que les iconographes aimeraient bien éviter. Dès lors, une question se pose : ne serait-il pas plus avantageux de simplement poser de grands morceaux d’or sur la première couche ? Il n’y aurait ensuite plus qu’à finaliser le travail en recouvrant de petits morceaux les quelques trous qui auraient survécu à l’opération.
Dans ces pages, ces deux techniques de repiquage sont identifiées de la façon suivante :
- méthode A pour le repiquage local (plus petits morceaux possible).
- méthode B pour l’application systématique d’une deuxième couche d’or.
Bien sûr, il faut garder à l’esprit que les qualificatifs ‘petits’ et ‘grands’ sont relatifs et proportionnés à la grandeur de l’espace à dorer, et donc au format de la planche, de l’espace et des formes (pleines ou très découpées) couverts par le dessin, etc.
La question posée est à situer en termes d’économie, soit de temps (efficacité), soit d’argent (coûts d’or à l’achat). En effet, la méthode A est beaucoup plus longue à réaliser que la B, on va le voir plus bas. La méthode B, par contre, couvre des espaces qui n’ont pas de trous ce qui, en principe, entraîne un gaspillage d’or. C’est la valeur de ce présupposé que nous allons vérifier.
2. Contexte et modalités de l’expérience de comparaison présentée ici
J’ai profité d’un travail sur une icône de grand format pour faire une expérience et comparer les deux méthodes. Il s’agit d’une icône Christ Vraie Vigne (image prototype ci-dessous, à gauche), laquelle comporte de grandes surfaces à dorer, surtout dans le haut de l’icône. J’ai commencé la dorure par cette large bande vierge (encadré bleu, ci-dessous), puis j’ai repiqué cette surface selon la méthode A. Ce fut très long et plus j’avançais, moins j’étais convaincue que la supposée économie d’or valait la peine d’y sacrifier tant de temps. J’ai alors décidé d’en avoir le cœur net et de faire systématiquement une expérience de comparaison.
Je n’avais plus de large surface vierge pour faire l’expérience, mais cette icône étant symétrique, il était facile de délimiter deux surfaces suffisamment similaires pour que la comparaison soit significative. J’ai retenu celles se trouvant de part et d’autre de la tête du Christ (encadré blanc, ci-dessous), lesquelles correspondent à l’emplacement de saint Pierre (à gauche) et de saint Paul (à droite).
Paramètres complémentaires pour situer l’expérience
- La surface de chaque secteur est approximativement de 44 po carrés (285 cm carrés)..
- Les surfaces sont relativement homogènes – donc peu de découpage permettant l’emploi de grands morceaux d’or.
- Le côté de saint Paul a été repiqué suivant la méthode A (repiquage local) et le côté de Pierre avec la méthode B (deux couches d’or).
- L’or (libre, 22 carats, triple de 21 gr par 1000 f.) a été coupé sur carton avec une lame de rasoir et non pas avec un couteau sur un coussin.
- La palette employée est standard (ex. de Kama Pigments ci-contre).
- L’or a été laissé mat, sans brunissage à l’agate ni même polissage à la ouate ou à la soie.
N.B. Un certain nombre de trous restant à la fin du processus de dorure est en général jugé acceptable. Dans l’expérience en cours ici, toutefois, j’ai posé la contrainte de la disparition totale des trous afin d’assurer une comparaison fiable.
3. Résultats de l’expérience de comparaison
Remarque importante : conditions pour que la comparaison soit valable
Une autre personne aurait pu prendre plus ou moins de temps pour réaliser l’expérience. L’important ici n’est toutefois pas la performance, mais de considérer que la même personne a appliqué les deux techniques ce qui permet, à dextérité égale, d’en comparer les résultats.
CELA DIT, cette comparaison des méthodes de repiquage A et B est valide seulement si la personne qui fait la dorure a suffisamment d’expérience pour ne pas gaspiller de feuilles durant la pose avec la méthode B. Il est en effet plus difficile de poser sans les déchirer ou les plisser exagérément de grandes pièces d’or que de petits morceaux. Dans le cas qui nous occupe, il n’y a presque pas eu de pertes en B, sauf pour une feuille qui a ‘cassé’, laissant une trou mesurant approximativement 1.5 cm carrés, lequel a été réparé avec un morceau de grandeur correspondante. D’autre part, l’habilité à couper doit aussi être considérée, les petits morceaux exigeant de nombreuses entailles (photo ci-dessous, à droite) et entraînent donc un risque accru de déchirures et, par conséquent, de pertes.
A. Côté de saint Paul repiqué suivant la méthode A (petits morceaux)
Nombre d’étapes
Grosseur moyenne des morceaux
Nb moyen de morceaux sur la palette
Durée de la pose
Nb total de feuilles
Quantité de trous restant
3
1 cm carrés
10 (photo de gauche, ci-dessous)
51 minutes
8
Quelques uns, petits mais visibles de très près
Remarque
La quantité et la grandeur des trous diminuant au fur et à mesure que le repiquage avance, le nombre de feuilles aurait été réduit si de plus petits morceaux (ex. ½ cm carré) avaient été employés vers la fin du processus. Cela n’aurait toutefois pas affecté le temps de travail, sinon pour l’augmenter car plus il y a de morceaux, plus il faut revenir souvent sur le carton pour les prendre avec la palette (voir photo de gauche, ci-dessus). De plus, plus nous posons de morceaux, plus il faut venir appuyer avec une ouate pour faire les adhérer à la surface.
B. Côté de saint Pierre repiqué suivant la méthode B (grands morceaux)
Nombre d’étapes
Grosseur moyenne des morceaux
–
Nb moyen de morceaux sur la palette
Durée de la pose
Nb total de feuilles
Nombre de trous restant
2
½ puis ¼ et enfin 1/8 de feuille + une quinzaine de morceaux de 1 cm carré pour finaliser le processus et boucher les minuscules trous restants.
1
20 minutes
6
Aucun
Remarque Revoir la remarque au début du point 3 à la page précédente.
4. Conclusion de l’expérience
J’anticipais que la présumée économie d’or avec la méthode A serait minime eu égard au gain de temps assuré par la méthode B. Je ne m’attendais toutefois pas à une si grande efficacité de la part de cette dernière, laquelle a non seulement a pris moins de temps (20 min. versus 51 min, soit plus de 60.8 % moins de temps), mais aussi moins de feuilles d’or (6 feuilles versus 8, soit 25% moins d’or). De plus, comme nous l’avons vu plus haut, il est resté quelques petits trous avec la méthode A – très petits il est vrai, mais néanmoins visibles de près, tandis que la méthode B n’a laissé aucun trou.
Par conséquent, même en considérant le fait, souligné plus haut, que l’emploi de plus petits morceaux dans la méthode A auraient diminué le nombre total de feuilles utilisées (posons comme hypothèse que nous aurions économisé 2 feuilles – ce qui semble exagéré – et donc pris la même quantité d’or que pour la méthode B), l’économie en temps reste significative et suffit amplement pour préconiser la méthode de repiquage B – sous réserve, bien sûr, de la remarque apportée au début du point 3 à la page précédente concernant l’habilité du doreur à poser de grandes pièces d’or rapidement et sans les briser.