Pour mieux comprendre l’icône de la Nativité

Dans les premiers temps de l’Église, la fête de la Nativité était célébrée en même temps que la Théophanie du Baptême de Jésus. On insistait alors davantage sur la réalisation des promesses de l’Ancien Testament annonçant la venue du Messie, manifestation de Dieu dans la visibilité du Monde. Les premières illustrations – semi-symboliques et non pas encore des icônes au sens strict du terme – de la Nativité de Jésus mettaient l’emphase sur ce caractère divin de l’Événement et de l’Enfant.

Dès le IVe siècle toutefois, l’Église chrétienne, aux prises avec les courants monophysistes (ne reconnaissant qu’une seule (monos) nature (physis) dans le Christ), a vu la nécessité de distinguer les deux fêtes de manière à célébrer avec une égale emphase les véritables divinité et humanité de l’unique Seigneur. C’est à ce moment-là que la fête de la Nativité fut fixée au 25 décembre et distinguée de la Théophanie du Baptême de Jésus, fêtée vers la mi-janvier. L’Occident chrétien a, en plus, établi une fête distincte pour célébrer le voyage, l’arrivée et l’adoration des Mages, fête appelée l’Épiphanie et qui est célébrée le 6 janvier.

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Sur les icônes, Marie Théotokos – mot qui veut dire Mère de Dieu – domine la composition et son espace est inséparable de celui l’Enfant qui est au cœur de l’image.

Marie est à la fois la Vierge et la Mère. Elle est la sainte Montagne en même temps que la Grotte profonde, l’Espace sacré et fécond dont l’immense amour personnel, agrandi aux dimensions de Dieu, a permis à celui-ci de prendre chair en notre monde.

Chaque élément de l’icône canonique de la Nativité dit quelque chose de vital car elle est, nous dit le père Georges Drobot (voir référence en fin de document), la représentation exemplaire du mystère central du christianisme, l’Incarnation.

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Le centre de l’icône, que le père Egon Sendler appelle zone du mystère, est occupé par la Grotte abritant l’Enfant, le bœuf et l’âne. Marie se tient dans cette zone, habituellement devant et non dans la grotte. En position assise dans les premières images de la Nativité, elle prend plus tard la position couchée pour indiquer sans ambiguïté qu’elle se relève d’un accouchement. Elle est étendue sur un grand coussin dans une pose sereine, apaisée, état qui souligne le caractère miraculeux de cette naissance. Cette figuration est un exploit d’équilibre qui correspond aux énoncés paradoxaux des dogmes christologiques et mariaux. Le caractère miraculeux de la naissance virginale est doublé par la présence des trois étoiles sur son manteau (maphorion), tandis que la réalité humaine de l’enfant est accentuée par la présence des deux sages-femmes sur laquelle nous reviendrons.

Dans cette zone, on voit également la double mandorle avec ses rayons un et trine, forme complexifiée et achevée de l’étoile primitive. Elle demeure, comme sur les images paléochrétiennes, l’indice théophanique, c’est-à-dire le symbole de la présence de Dieu à l’Événement de la naissance (référence des images en fin de document).

Le bœuf et l’âne jouent un rôle majeur dans l’icône. Entre autres symboles, ils renvoient aux prophéties d’Isaïe et d’Habaquq pour signifier leurs accomplissements en la venue de Jésus. Jumelés à l’Étoile dans les images paléo-chrétiennes, les deux animaux indiquaient sans ambiguïté au spectateur qu’il était en présence nativité chrétienne.

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La partie supérieure de l’icône, appelée par Sendler zone théophanique inclut les Anges, les Bergers et les Mages. Mages et Bergers sont les premiers invités au mariage du ciel et de la terre et ils sont les témoins directs de la Bonne Nouvelle de Noël. Tous – bergers, mages et anges – sont mis en mouvement pour et par l’Annonce. Plusieurs symbolismes sont rattachés à chacun d’eux – par exemple, les Mages représentent les gentils (païens) convertis à la nouvelle foi ; la science éclairée par la foi et amenée à sa finalité, l’adoration ; les Nations ; les trois âges de la vie ; etc. De leur côté, les Bergers représentent le peuple juif de même que la foi simple qui jaillit d’un cœur encore capable d’émerveillement. Outre leur mission de messagers, les anges, dont le nombre réduit symbolise néanmoins toute la milice céleste, accentuent le caractère théophanique de la scène.

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Dans le bas de l’icône, se trouve la section que le père Sendler appelle zone catéchétique. Il s’y joue deux drames de foi.

D’un côté, saint Joseph est aux prises avec ses pensées. Devant lui se tient un très curieux personnage, un vieux Berger revêtu de peau de bête, figure que l’on voit se distinguer, muter et se déplacer au fur et à mesure qu’évolue ce thème iconographique dans le temps. Il fait face à saint Joseph et dialogue avec lui. D’aucuns y voient le Diable-Tentateur, hypothèse rejetée par le père Drobot car même si ce personnage représente effectivement le doute dans l’esprit de Joseph et sa difficulté de croire, il est également celui qui l’éclaire sur l’événement – sur certaines icônes, il montre à Joseph l’Annonce faite aux autres bergers par l’ange. En psychologie des profondeurs, on peut y lire l’Ombre de Joseph au sens qu’en donne

Jean Monbourquette à la suite de Jüng. C’est la figure de l’intime de l’être, microcosme au sein duquel se joue un drame personnel correspondant au drame cosmique lié à la venue du Seigneur déjà Pantocrator dans l’Enfant vulnérable de la Crèche, point de départ et achèvement de toute la Création (cf Teilhard de Chardin).

Faisant pendant à la scène de Joseph, se trouve celle du Bain de l’Enfant. Cet élément fut un objet de scandale dans la foulée des courants idéalisant l’humanité de Jésus, nous dit Drobot. Ce schéma très ancien (VIe) a malheureusement complètement disparu non seulement des Nativités occidentales à partir du Moyen-Âge jusqu’à aujourd’hui, mais même temporairement en Orthodoxie – Russie et mont Athos – entre les XVIe et XXe siècles. A l’Athos, on allât même jusqu’à un véritable iconoclaste en effaçant cette scène des images anciennes. Cette répugnance avouée envers le côté charnel de l’Incarnation – dont le mot signifie pourtant précisément ‘ce qui se fait dans la chair’ – culminera en Occident avec l’interdiction du Concile de Trente (1545) qui ne gardera comme forme canonique que les femmes entourant Marie, éliminant bras, sein et enfant nus des compositions pour les rendre recevables par la morale et la spiritualité de l’époque.

Il convient de réhabiliter cette iconographie ancienne car elle a une grande densité doctrinale. Complétant la forme et les détails de la Mère de Dieu couchée, dont nous avons parlé plus haut, elle dit en effet d’un même mouvement la très concrète humanité de l’enfant en même temps que la foi en la virginité de sa Mère, cette virginité étant l’indice de l’origine divine de l’Enfant. Ce drame de la foi confrontée à ce que nous appelons pour l’instant impossibilité, et qui fait pendant à celui de Joseph, est exemplairement figurée par la sage-femme et nourrice Salomé dont le bras, montré nu sur l’icône (voir début de texte), fut mystérieusement blessé en raison de son manque de foi en cette virginité, puis guéri suite à sa reconnaissance de celle-ci. Que le Protévangile de Jacques soit une légende, un récit ou une allégorie ne change rien à l’idée que quelque chose d’autre se dit d’un réel qui, sans le pouvoir de l’image, échapperait à notre entendement direct.

Dans le registre chrétien, escamoter cette scène appauvrit donc la densité de la représentation- réalité de la Nativité et sa richesse symbolique – le symbole ayant cette capacité de ‘tenir ensemble’ des significations paradoxales, voire antinomiques. Dans un autre ordre d’idées, cette scène a aussi le mérite de donner une place centrale, non seulement au féminin, mais surtout aux femmes concrètes dans l’imaginaire chrétien – A quand les petits Santons québécois des Femmes-au-Bain-de- l’Enfant?

Références

DROBOT, Georges. Icône de la Nativité : un corollaire et un moyen de formulation du dogme de l’Incarnation (présenté à l’origine comme thèse de doctorat à l’Institut catholique de Paris, 1973), Maine et Loire : Abbaye de Bellefontaine, 1973, 341 p.

MONBOURQUETTE, Jean. Apprivoiserson ombre, Ottawa : Novalis, 2001, 182 p.

SENDLER, Egon. « La Nativité » In: Les mystères du Christ : les icônes de laliturgie, Paris : DDB, 2001, 307 p., pp. 43-59.

TEILHARD de CHARDIN, Pierre. Le milieudivin: essai de vie intérieure, Paris: Seuil, (Sagesses ; 58), Œuvres t. IV, [rédact. 1926- 1927; rév. 1932] 1957, 187 p.

TEILHARD de CHARDIN. Pierre. Le Cœur de la Matière, Paris: Seuil, Œuvres t. XIII, [rédact. 1950] 1976, 254 p.

Images (ordre d’apparition)

La Nativité, École de Moscou (parfois attribuée à Andreï Roublev), 1ère moitié du XVe siècle.

La Mère et l’Enfant avec le Prophète. Fresque, Cimetière de Priscille, Rome, 1ère moitié du IIIe siècle. 1ère image paléochrétienne (semi- symbolique) de la Nativité.

La Nativité. Icône Copte VIIe s., Monastère Sainte-Catherine-du-Sinaï.

La Nativité. XIIe siècle, Monastère Sainte- Catherine-du Sinaï.

La Nativité. Icône contemporaine – source : internet (sans identification).

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