Les éléments de l’icône1
Cette icône appartient au registre des Fêtes dans les iconostases des églises de rite orthodoxe.
Les Apôtres sont toujours au nombre de douze, excluant Judas, mais incluant saint Paul en vis-à-vis de saint Pierre, assis tous deux de part et d’autres du Trône. L’Apôtre retiré de la composition varie selon les icônes, soit, habituellement Mathias ou un des deux Jacques.
Le personnage du bas symbolise le Cosmos sauvé et sortant transfiguré des ténèbres. Il porte douze rouleaux signifiant les douze tribus d’Israël. Il s’agit là d’un symbole puissant. Il affirme, d’une part, l’accomplissement des Écritures et, d’autre part, que c’est toute la Création qui, avec le Christ ressuscité, peut désormais revenir à Dieu et s’unir à Lui. La matière, créée sainte à l’origine, est à nouveau capable de Dieu parce que l’Esprit nous tire en avant en nous soulevant vers le Seigneur. L’appel de Jésus à Lazarre résonne et nous rejoint à travers le temps et l’espace : Sors et reviens à la Vie !
Tout le bas l’icône est inondé de Lumière et cela renvoie à cette même idée de transfiguration-déification par grâce et participation signifiée par la figure du Cosmos. Cette surabondance de lumière divine est indiquée par les petites lignes d’or de l’assist qui irradient sur toute la surface de l’icône.
Ces traits d’assist répondent aux rayons bleus et blancs de la mandorle du haut de l’icône. La mandorle (d’un mot italien signifiant ‘amande’) est le symbole iconographie exprimant la présence de Dieu (théophanie) à l’Événement. Elle dit le mystère d’un accomplissement déjà réalisé en esprit, bien que non encore pleinement manifesté dans toutes les couches de la matière. La Pentecôte ouvre sur le kérygme chrétien, l’envoi en mission pour annoncer la Bonne nouvelle du salut à l’univers entier. Aucune exclusion car tous sont invités à entrer dans la Joie du Dieu vivant.
Le voile rouge dans les architectures signifie que l’Événement se passe à l’intérieur des bâtiments, aucun effet de perspective linéaire ne permettant de distinguer le dedans du dehors.
Chaque Apôtre possède ses attributs spécifiques exprimant son caractère unique – cheveux, barbes, couleurs des vêtements… Pierre et Paul ont une place suréminente. Paul, Apôtre des Gentils, tient le Livre Saint irradié de Lumière. Les autres Apôtres tiennent le rouleau des Écritures dont l’ensemble correspond aux douze tribus d’Israël (cf. le Cosmos, supra), symbole de l’accomplissement des promesses de l’Ancienne Alliance. Plusieurs bénissent de la main droite, la position des doigts indiquant les deux dogmes fondateurs, soit, d’une part, le dogme trinitaire (un seul Dieu en Trois personnes) et, d’autre part, le dogme christologique (Jésus-Christ vrai Dieu vrai homme, deux natures unies sans confusion ni opposition).
Les Langues de feu proviennent du récit des Actes. Observons que Marie n’a pas ce symbole sur sa tête. Cela nous amène à la controverse sur la présence de Marie dans cette icône de la Pentecôte.
La Pentecôte avec ou sans Marie Mère de Dieu ?
La controverse
Une controverse existe à savoir s’il faut ou non inclure la Mère de Dieu dans la Pentecôte.
En Orthodoxie stricte, l’icône ne comprend habituellement pas la Mère de Dieu. Cela dit, des exemples existent. En Catholicité, la présence de Marie dans les représentations de la Pentecôte ne semble pas poser les mêmes problèmes qu’en Orthodoxie.
Voici deux raisons évoquées pour ne pas inclure Marie dans la composition.
- D’une part parce que l’Esprit descend pour fonder l’Église et que Marie est l’Église.
- D’autre part, parce qu’étant déjà comblée de grâces elle n’a pas à recevoir (à nouveau) l’Esprit-Saint.
En contrepartie, voici quelques arguments soutenant l’inclusion de Marie dans la composition.
- Le premier argument ci-dessus a pour inconvénient d’enlever à la Mère de Dieu sa réalité concrète en la sur- symbolisant. Or, Marie de Nazareth était une femme réelle. Tous les saints et saintes sont proposés à la vénération des fidèles pour l’héroïcité de leur vertus personnelles et c’est à ce titre qu’ils deviennent des figures et des symboles de vie chrétienne. La Toute- Sainte (Panhagia) ne fait pas exception et elle doit donc être vénérée dans ces deux registres, inséparablement.
- Si Marie était activement présente à la fondation symbolique de l’Église au Golgotha, pourquoi n’y serait- elle pas à sa fondation concrète et visible lors de la Pentecôte ?
- Marie est mère de l’Église parce que Mère de Dieu. C’est dans sa Chair propre de femme concrète qu’elle a porté le Verbe Incarné (cf Ga 4, 4).
- Observons l’icône : ce n’est pas un hasard si nous voyons habituellement trois Apôtres regarder derrière eux, indiquant qu’il y a d’autres personnes présentes à l’événement. Pourquoi n’y aurait-il pas de femmes parmi celles-ci, comme nous l’indique la logique interne du récit des Actes (1, 14 en lien à 2, 1) ?
- La réponse au second argument contre la présence de Marie nécessiterait une recherche théologique et doctrinale approfondie. Nous nous limiterons ici à une simple piste de réflexion… Dans le récit de la grande Théophanie du Baptême de Jésus (Mt 3, Mc 1, Lc 3), nous lisons que Jésus fut investi par l’Esprit Saint au Jourdain, lui qui avait déjà la plénitude de cet Esprit étant Fils de Dieu. Si cela est vrai pour le Verbe incréé incarné, pourquoi ne serait-ce pas également vrai pour Marie, créature de Dieu ? En contre-argument, on pourrait toutefois dire que Marie, dans sa vie terrestre, fut d’emblée pleine de grâce parce que conçue sans péché… Sans compter la présence toute particulière de l’Esprit à l’Annonciation…
- En finale, l’argument le plus convaincant en faveur de la présence de Marie sur l’icône est que son omission va à l’encontre du principe traditionnel et incontournable qui veut que l’Écriture soit la référence principale pour le choix des éléments d’une icône. Or, nous l’avons souligné plus haut, il semble assez clair dans les Actes que Marie devait être en prière, au centre du groupe des Apôtres et avec d’autres femmes, comme c’était leur coutume depuis le départ du Seigneur (cf. Ac 1, 14).
La figure du trône vide (Hétimasie)
Cela étant dit, l’image du Trône vide (en grec hétimasie) est également très riche de signification. La place de l’Absent renvoie à l’attente eschatologique, le trône vide signifiant qu’aucune personne ou institution ne peut prendre la place du Roi des Cieux dont nous attendons la Seconde Venue avec une ‘ardente patience’.
L’imagerie du trône vide remonterait à Alexandre le Grand qui voulait protéger son pouvoir absolu même en son absence. Cette pratique est à la source de la tradition romaine de l’image-suppléance qui représentait légalement l’empereur en son absence, une tradition très importante dans la genèse de la théologie de l’icône (cf Christoph von Schönborn).
Conclusion
Abondance de richesse ne saurait nuire… Les deux modes de représentation ne sont pas mutuellement exclusifs car ils présentent deux perspectives d’une même vérité de foi : l’Esprit de Dieu est donné pour que l’Assemblée chrétienne se constitue dans le but d’appeler l’univers entier à entrer dans la joie du salut de Dieu en Jésus-Christ. Il y a place pour toutes ces significations selon les catéchèses impliquées.
- Icône de la Pentecôte avec la Mère de Dieu écrite à l’Institut Périchorèse par Alexandre Sobolev pour le père Dallaire de Montréal en août 2009. Assistance : M. Lévesque. Format : 65 x 95 cm. ↩︎