Réflexions de Michèle Lévesque
16 juillet 2010
La Règle de l’iconographe présentée plus bas remonterait au XIIe siècle. Elle résume en quelques points l’attitude de la personne qui écrit des icônes. Elle parle d’idéal. Est-ce à dire que seul celui ou celle qui est en état de grâce parfaite peut se mettre au travail sur les icônes ?
Je me souviens d’une iconographe qui nous disait ne pas pouvoir travailler ses icônes car elle vivait trop de colère. Il me semblait toutefois que c’était à ce moment-là qu’elle aurait dû s’attacher à sa table de travail afin que la contemplation du saint Visage la pacifie et l’aide à ressentir, conscientiser et intégrer son état douloureux – car de toutes les émotions humaines, la colère est certainement l’une des plus difficiles à porter, à contenir, à traiter et, surtout, à partager. Pourtant, blessure relationnelle s’il en est, c’est seulement dans la relation qu’elle peut se pacifier. Cela est vrai pour tous ces états intérieurs dits négatifs et sources de grand stress que nous aimerions tant pouvoir éviter, tous tant que nous sommes et les bons chrétiens encore plus que les autres !
Les grands spirituels nous le rappellent : ce qui importe, ce n’est pas l’état ressenti, éprouvé, mais bien plutôt l’état désiré. Je vois là la grande leçon du Notre-Père dans lequel nous demandons à Dieu de ne pas nous laisser fléchir sous les assauts des tempêtes intérieures de toutes sortes. Bien sûr, se sentir en état zen de paix, d’amour et d’harmonie avec soi, les autres, Dieu et le cosmos est hautement désirable et il fait bon rendre grâce pour ces instants-cadeaux, ô combien !, mais cela ne dit rien sur l’humilité (du latin humus, sol, terre) profonde qui doit régner en priorité dans le cœur de la personne qui prête ses mains au travail kérigmatique de l’icône. Cela dit, l’iconographie étant un art, il nous faut en même temps vivre la sensation physique et psychologique donnée par les formes, les lignes et les couleurs au risque d’écrire des icônes stéréotypées et sans vie, mais ce ressenti nécessaire, bien que différent de celui de l’artiste totalement libre de sa production, est néanmoins d’un autre ordre que celui dont il est question ici.
Nous parlons ici d’une attitude, d’un désir et d’une intention induisant un état de paix profonde semblable à ce qu’évoque sainte Thérèse de Lisieux avec son image de la petite balle reposant au fond de la barque près du Seigneur en apparence absenté dans son sommeil (cf Mc 4, 35-41). Dans cette attitude, le coeur se tourne vers le Visage espéré qu’il sait toujours déjà là, mais qu’il appelle quand même de toute la force simple de son désir priant… Se mettre en présence d’un Présence non encore sentie, mais crue réelle dans la foi, à même le patient labeur sur la planche de bois, voilà un des coeurs vifs de l’iconographie. En grec, le visage se dit prosôpon, ce qui signifie littéralement ‘tourné vers’. Ainsi, quand nous venons travailler l’icône, c’est notre cœur (notre visage) tel qu’il est en sa vérité que nous apportons au Seigneur dans un face à face libérateur et pacificateur car nous savons que c’est la vérité, en commençant (comment faire autrement ?) par la vérité sur soi, qui nous rendra libres (Jn 8, 32).
Même si nous nous vivons comme habitant le désert (celui de notre difficulté à discipliner notre travail, de la pauvreté de notre talent pour peindre, de notre impatience devant la lenteur de notre apprentissage, de la tentation de se comparer aux autres, etc.), si nous venons simplement nous présenter devant l’icône, le regard de Dieu travaillera notre terre en profondeur, même à notre insu, par la grandeur humble et puissante du travail de nos mains et dans un jeu d’attachements et de détachements continuels comme nous le rappelle le sixième point de la Règle ci-dessous. A chaque fois, de petites amarres se coupent pour nous lancer en des eaux profondes toujours nouvelles et imprévues… en autant que nous consentions à lancer nos filets là où il convient, c’est-à-dire dans la vérité accomplie dans la charité (cf Ep 4, 15), un processus qui nous est souvent bien pénible, tiraillés que nous sommes entre la complaisance indue et une sévérité tout aussi inopportune, les deux menant au découragement sur soi. Mais si nous jouons le jeu résumé dans la Règle ci-dessous, quelle magnifique aventure est alors celle de l’iconographe !
Michèle Lévesque
Théologienne et iconographe
LA RÈGLE DE L’ICONOGRAPHE DU XIIe SIÈCLE
- Avant de commencer ton travail, fais un signe de croix, prie silence et pardonne à tes ennemis.
- Signe-toi à plusieurs reprises devant ton travail afin de te fortifier physiquement et spirituellement. Évite surtout les paroles inutiles. Garde le silence (si ce que tu veux dire n’est pas plus beau que le silence, abstiens-toi.
- Prie spécialement le saint dont tu peins le visage. Garde ton esprit de la distraction et le saint sera près de toi.
- Accomplis soigneusement chaque détail de ton icône comme si tu travaillais devant le Seigneur lui-même.
- Lorsque tu choisis une couleur, étends tes mains intérieures vers le Seigneur et demande-lui conseil.
- Ne sois pas jaloux du travail de ton voisin. Son succès est le tien.
- Ton icône terminée, rends grâce au Seigneur de ce que sa miséricorde t’ait accordé la possibilité de peindre les images saintes.
- Fais bénir ton icône en la déposant sur l’autel lors d’une liturgie. Sois le premier à prier devant elle avant de la donner aux autres.
- N’oublie jamais la joie de répandre des icônes dans le monde, celle de ton travail de l’iconographe et celle de donner la possibilité au saint ou à la sainte de rayonner à travers son icône.
- N’oublie pas non plus que tu sers la gloire du Seigneur par ton icône