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Institut Périchorèse - Atelier d'iconographie

 

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Le fond doré dans l'icône de tradition chrétienne orthodoxe

 

 

Billet du Carnet web 18 juin 2015

 

 

Ce texte a été rédigé par Diane Poulin pour le Catalogue de l'exposition collective L'Icône : à la rencontre de l'invisible (1) tenue au Musée des maîtres et artisans du Québec du 16 février au 15 mars 2015 à Montréal.  L'article est reproduit ici avec l’aimable autorisation de la commissaire et organisatrice de l'exposition, madame Nylda Aktouf, iconographe.      

 

Le fond doré dans l'icône de tradition chrétienne orthodoxe

Les personnes qui visitent notre atelier d’iconographie sont étonnées lorsqu’elles réalisent combien d’étapes sont effectuées dans l’écriture de l’icône de bois selon la technique traditionnelle de tempéra à l’œuf. Parmi les questions qui reviennent fréquemment, on nous demande pourquoi nous utilisons l’or véritable pour le fond de l’icône. La réponse comporte plusieurs nuances.

D’abord, l’or véritable est utilisé pour représenter la lumière divine, mais son utilisation ne relève pas d’une règle ou d’un canon iconographique. Les Pères de l’église ont formulé les canons de la composition de l’icône en laissant à l’iconographe la liberté d’utiliser la technique et les matériaux convenables. Afin de rendre gloire à la beauté de la création divine et de représenter en images la vérité de l’Évangile, les iconographes se sont cependant efforcés d’employer le plus possible des matériaux « naturels et authentiques » qui proviennent des différents règnes. Il est donc possible d’utiliser les pigments naturels qui donnent la couleur la plus dorée, comme l’ocre jaune clair, mais l’or est le matériau qui permet de représenter la lumière divine avec le plus de brillance. C’est un matériau noble, précieux et inaltérable digne de la royauté et l’un des présents que les Mages ont offert à Jésus Christ au début de sa vie terrestre.

Les iconographes appellent le fond de l’icône « lumière » car il représente la lumière du Royaume des Cieux, un espace intemporel hors des dimensions et de la profondeur de l’espace terrestre. Cette lumière appelée “lumière incréée” est de même nature que la lumière créatrice du Premier Jour dans la Genèse. Le fond de l’icône doré symbolise cette lumière qui est diffusée partout simultanément, c’est-à-dire sans source de lumière extérieure, ni soleil, ni lune et étoiles. Dans l’icône, les objets et personnes sont représentés sans ombres et dans un espace lumineux même si les événements sont vécus la nuit, à l’extérieur ou à l’intérieur, comme, par exemple, les icônes de la Sainte Cène et de la Pentecôte.

Par ailleurs, l’icône proclame la beauté de la matière créée promue à la lumière de la transfiguration. Dans l’écriture de l’icône, les étapes techniques de la dorure sont liées au dogme chrétien de l’incarnation du Christ qui nous appelle à sortir des ténèbres pour nous élever vers la Lumière : « Moi, la lumière, je suis venu dans le monde, afin que quiconque croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres. » (Jean, 12, 44b-46). Au début du processus de la dorure, l’iconographe pose le symbole de l’humanité du Christ et applique plusieurs couches d’argile rouge (appelé bolus ou assiette à dorer) qui représente la création d’Adam. Ensuite, ce bolus est poli afin de recevoir l’or symbolisant la lumière divine qui a triomphé sur les ténèbres.

L’art de l’iconographie consiste aussi à représenter les êtres transfigurés par l'énergie divine, la lumière intérieure de l’Esprit Saint. Le nimbe doré est une couronne de lumière illustrant cet état de sainteté,  tel que décrit dans l’Évangile lors de la transfiguration du Christ sur le mont Thabor : « Il fut transfiguré devant eux : son visage resplendit comme le soleil et ses vêtements devinrent éblouissants comme la lumière. » Le fond doré de l’icône représente le Royaume où les corps transfigurés et glorieux nous éclairent et nous guident vers le Père. Dans cet espace lumineux, les êtres n’ont plus à se conformer aux dimensions terrestres, aux éléments de paysage ou d’architecture. L’icône devient « le visible de l’invisible » et porte la nouvelle alliance en invitant la personne qui la vénère à prier, à se rendre disponible à la divine Présence.

L’icône recouverte d'or ne fait pas qu’illustrer les Saintes Écritures, mais s’inscrit donc au cœur même du mystère de l’incarnation et l’enseignement de la foi dans le Christ. L’icône est une passerelle vers le Royaume, et sa vénération, un moyen de progresser spirituellement par la contemplation de la Lumière Divine.

 

Diane Poulin

Iconographe

 

Note

 (1)  Catalogue de l'exposition "L’icône : à la rencontre de l’invisible', Musée des maîtres et artisans du Québec, Montréal, du 19 février au 15 mars 2015, dépôt légal 3e trimestre 2015, ISBN 978-2-92237-61.  L'article "Le fond doré dans l'icône de tradition chrétienne orthodoxe" est aux pages 22-23.

Sources

Bigham, Stéphane. Iconologie Neuf Études. « La Couleur Du Fond D’une  Icône ». Éditions Orthodox Research Institute. pp 31-38.

 

Drobot, Georges. La Lumière dans l’icône. dans Lumière Du Thabor. Sept. 2007, No. 32, pp 10-12.

Ouspensky, Léonide. Le sens dogmatique de l’icône. dans Pages Orthodoxes. http://www.pagesorthodoxes.net/eikona/icones-sens.htm

 

Quenot, Michel. L'icône Fenêtre Sur Le Royaume. Éditions Du Cerf.

 

Troubetskoi, Eugene « L'or Céleste : L"Assiste" »  dans http://www.myriobiblos.gr/texts/french/contacts_troubetskoi_assiste.htm